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TRIBUNE

Tribune parue sur le site LeMonde.fr le 1er mars 2024, sous le titre  Désinformation : « Il faut appliquer en France les sanctions de l’UE contre les médias russes » (Pour les abonnés)

Désinformation : « Il faut appliquer en France les sanctions de l’UE contre les médias russes »

 

L’assassinat en détention d’Alexeï Navalny a suscité l’indignation des gouvernements démocratiques. L’ambassadeur de France à Moscou a honoré sa mémoire en déposant un bouquet de fleurs devant le monument aux victimes de la répression russe. Mais sauf à provoquer la moquerie du Kremlin, les mots et les fleurs ne sauraient rester une réponse acceptable à cette exécution d’un opposant politique. Nous avons trop tardé à prendre la mesure de ce que signifie la litanie des meurtres commandités par Vladimir Poutine : la journaliste Anna Politkovskaïa tuée en 2006, après une tentative d’empoisonnement en 2004 ; le transfuge Alexandre Litvinenko empoisonné en 2006 ; l’ancien vice-Premier ministre Boris Nemtsov assassiné en 2015 ; les tentatives d’empoisonnement de Vladimir Kara-Murza en 2015 et 2017 et d’Alexei Navalny déjà, en 2020, sans parler d’une multitude de cas moins connus.

Or, jusqu’ici et malgré la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et les diatribes du Kremlin contre l’« Occident », Vladimir Poutine a conservé la dignité de Grand-croix de la Légion d’honneur, qui lui avait été accordée par Jacques Chirac en 2006. Nous demandons que lui soit retirée cette distinction, car on ne peut concevoir qu’un criminel multirécidiviste, sous mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale, soit autorisé à arborer cette décoration, qui perdrait alors toute signification.

Cette mesure symbolique mais nécessaire doit être accompagnée de dispositions indispensables à notre sécurité. Comment accepter que le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe, situé Quai Branly, qui constitue un rouage de la propagande russe sur notre territoire, conserve un statut d’exterritorialité diplomatique, obtenue sous la présidence de Nicolas Sarkozy avec l’aval de l’ancien Premier ministre François Fillon, et que son personnel jouisse de l’immunité qu’elle confère ? L’un de ses membres, en particulier, l’ancien ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, est connu pour ses activités dans le tissage de liens avec les propagandistes français du Kremlin. Il s’exprimait d’ailleurs encore publiquement le 31 janvier au Centre universitaire méditerranéen de Nice. Or 24 heures suffisent pour révoquer le statut diplomatique du Centre orthodoxe russe et déclarer ses membres personae non gratae.

Enfin, au moment où le président de la République et les ministres des Armées et des Affaires étrangères dévoilent l’ampleur des opérations de désinformation visant la France, on ne peut plus différer les mesures les plus sévères prévues par la loi envers les ressortissants français qui, en raison de leurs relations rétribuées avec le Kremlin ou ses intermédiaires, continuent à servir de relais à sa propagande. Des investigations poussées doivent être conduites à leur encontre et les lois de la République doivent être adaptées. Il conviendrait d’interdire toute relation commerciale avec des entités liées, directement ou non, à des États qui nous menacent directement, de la part d’anciennes personnalités politiques et anciens agents publics. Il faudrait aussi, d’une part, renforcer les définitions légales de l’intelligence avec l’ennemi et du trafic d’influence, d’autre part, limiter le secret des affaires. Parallèlement, les organes de presse, groupes de réflexion, ou sites Internet, financés entièrement ou partiellement par des fonds russes, doivent être fermés.

Lutter contre la machine de désinformation russe suppose a minima que notre gouvernement veille à ce que soient enfin appliquées en France les sanctions contre les entreprises de média russes (VGTRK, ANO-TV Novosti, National Media Group, Zvezda, Inforos) adoptées par l’Union européenne. Le recyclage sur les réseaux sociaux de vidéos provenant des services visés tels Russia Today ou Sputnik doit être bloqué par les opérateurs, sous peine d’amende. Il n’est pas acceptable que les principales chaînes russes de propagande de guerre (Rossiya 1, Perviy Kanal, NTV, Ren-TV) restent accessibles sur Internet et que Perviy Kanal figure encore dans le « bouquet russe », diffusé par le Groupe Canal+ de Vincent Bolloré et relayé par SFR, Bouygues Telecom, Orange et Free.

Il est inadmissible que l’opérateur de satellites Eutelsat Group, dont la France et le Royaume Uni sont parmi les principaux actionnaires, continue à diffuser les deux chaînes de télévision et la station radio des Forces armées russes Zvezda vers la Russie et vers les territoires ukrainiens occupés. Il est, de même, inadmissible que soient toujours accessibles les portails de la VGTRK, le holding de radiodiffusion de l’État russe, dont les émissions sont émaillées d’incitation au génocide et à la guerre nucléaire.

Enfin, il faudrait que les autorités et France Média Monde (France 24, RFI) soutiennent le bouquet Svoboda Satellite (qui compte déjà cinq chaînes de télévision et trois chaînes de radio), récemment lancé par Reporters Sans Frontières en vue de fournir aux publics russophones d’Europe, de Russie, de Biélorussie et des territoires occupés d’Ukraine une information de qualité, alternative à la propagande du Kremlin.

 

La liberté d’expression, que nous défendons avec acharnement, suppose des limites clairement définies dans le droit tant international qu’européen et français. Elle ne peut être garantie que par l’interdiction de la propagande de guerre, des incitations à la haine et de la mise en péril de la sécurité nationale. Le 26 février, lors de la réunion des alliés de l’Ukraine, le Président de la République a appelé à un sursaut nécessaire dans l’aide à l’Ukraine et affirmé sa « conviction que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe ». Nous saluons ces déclarations qui doivent se concrétiser d’abord par la livraison et la production effective des armes réclamées par le gouvernement ukrainien. Mais elles impliquent également que des mesures soient prises pour réprimer sur notre sol toute propagande ou désinformation au service de la Fédération de Russie, condamner ses intermédiaires français et expulser ses agents russes.

 

Galia Ackerman, historienne, rédactrice en chef de Desk Russie

André Gattolin, universitaire et ancien parlementaire

Iegor Gran, écrivain

André Lange, coordinateur du Comité Denis Diderot

Jonathan Littell, écrivain

Alexandre Melnik, professeur de géopolitique à ICN Business School

Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, Théâtre du Soleil

Pierre Raiman, historien, fondateur de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !

Sylvie Rollet, professeure émérite des universités, Présidente de Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !

Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA)

Françoise Thom, historienne du monde russe et soviétique

 

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La liste complète des signataires (en cours de mise à jour) est disponible sur le site de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et pour la nôtre.  Nous vous invitons à la signer ici 

Sur la question de la faible mise en oeuvre des sanctions européennes contre les chaînes TV et les entreprises de médias russes, nous vous invitons à lire le rapport publié par le Comité en décembre dernier. 

Accès à la version html ici

Tribune parue sur le site LeMonde.fr le 1er mars 2024, sous le titre  Désinformation : « Il faut appliquer en France les sanctions de l’UE contre les médias russes » (Pour les abonnés)

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